Expatriation : votre retour gagnant en France

 
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Une expatriation réussie est une expatriation dont le retour est réussi. Un retour  rarement choisi, rarementpréparé. Pourquoi anticiperiez-vous le retour dans un pays que vous connaissez après vous être adapté aux 4 coins du monde ? Et pourtant, le retour est vécu plus difficilement que l’arrivée dans un nouveau pays. Au niveau perso, et au niveau pro. Pourquoi ?
Timothée : « A mon retour en France, je suis retombé sur terre.  Ca a été difficile de changer de rythme. Il n’y avait plus cette effervescence, cette folie de l’Inde. Le pays que je redécouvrais n’était plus complètement celui que j’avais quitté. La vie au quotidien manquait de relief. Il m’a fallu 1 an pour me réadapter complètement. »

Etranger chez soi

L’expatrié au retour est étranger dans son propre pays. En réalité, ce n’est pas la France qui a changé pendant ses années au bout du monde. C’est lui-même et sa manière de décrypter le monde. L’expatriation agit comme une psychothérapie : en s’extrayant de ses racines, en prenant du champ vis-à-vis de sa famille et de sa culture, l’expatrié s’est construit ses propres repères. Plus jamais désormais, il ne reverra son pays comme avant. Ses besoins ont changé aussi : on ne peut retrouver le sol français comme si de rien n’était, comme si la parenthèse pouvait être tout simplement refermée. De nouveaux besoins sont apparus au niveau perso et pro et ils vous sont propres, l’expatriation boostant vos compétences identitaires[1]Identifier vos nouveaux besoins et les moyens pour les satisfaire vous permet de bien vivre le retour. Une étape souvent négligée. La faible anticipation sur le choc du retour explique son ampleur : il est particulièrement inconfortable d’être ainsi désarçonné chez soi. Conséquence : de nombreux expatriés ont la tentation de repartir vite, où que ce soit. Ils sont devenus addictifs à l’expatriation. De retour d’Amérique du sud, Benoit se sent incompris de son entourage familial et de ses employeurs potentiels en France : « Je sens que je dérange partout. J’ai trop changé pour rester ici. J’ai repéré deux opportunités : à New York et aux Pays-Bas ».  Des destinations qui ne sont pourtant pas anodines après le séjour de Benoit dans les grands espaces naturels en Amérique du Sud… La fuite n’est pas une solution.

Retour à la banalité

Jean Pautrot, expert du retour explique : « Le retour c’est l’expérience de la solitude et de l’incompréhension. A l’étranger, l’expatrié reste étrange, il suscite donc l’intérêt de ceux qui l’accueillent. Au retour, il se banalise et ressent de l’indifférence qu’il interprète comme du rejet. L’appartenance à une communauté résulte d’une expérience vécue commune qui fait que l’on se comprend à demi-mots. L’expatrié se sent exclu comme un « ancien combattant »[2].  La difficulté de retrouver sa place au niveau professionnel se ressent de la même manière lors d’un retour au siège de son entreprise : En s’en éloignant, le salarié élargissait sa zone d’incertitude du pouvoir[3], un champ sur lequel il détenait l’avantage de la connaissance. Connaissance du marché à l’étranger, des problématiques locales, etc. Là-bas, il était un expert pays. Les entreprises attendent de leurs expatriés qu’ils se positionnent en candidats lors de leur retour en France, et non en salariés ; qu’ils repèrent par eux-mêmes les postes qui valoriseront leurs compétences acquises à l’international. Car aucune place n’est acquise. L’expatriation coûte cher, et la tendance est d’y mettre fin dès qu’elle n’est plus justifiée. A l’expatrié d’anticiper cela. Le risque, sinon, est de retrouver au retour un poste sous-dimensionné. Au pire : juste un bureau et un téléphone. D’où un taux particulièrement élevé de démission au retour d’expatriation. La prudence impose donc de cultiver ses réseaux en France au sein de l’entreprise et en dehors afin que l’on ne vous oublie pas…

Construire un projet perso-pro sur-mesure

La solution est la même que vous soyez conjoint meneur, conjoint suiveur, sous contrat ou travailleur en solo : prendre en main votre retour et identifier le poste qui vous ira comme un gant. Vous seul êtes capable de faire le point ; l’aide d’un consultant est précieuse pour y parvenir. Beaucoup d’expatriés considèrent qu’il est du ressort de leurs recruteurs potentiels d’identifier  leurs compétences issues de leur parcours et de leur proposer le poste adéquat. En réalité, c’est à vous de vous marketer sur le marché français. Didier, actuellement en poste dans un ministère a su valoriser ses compétences acquises par le biais d’une opportunité offerte par sa condition de conjoint d’expatrié[4] : « Ce n’est qu’à mon retour en France que j’ai compris de quelle manière je pouvais capitaliser sur cette expérience professionnelleje sais traduire du langage technique en langage politique, et vice versa. Aujourd’hui, je suis mis à disposition par mon entreprise auprès d’un ministère comme conseiller du directeur d’une entité très proche du Cabinet.”

Communiquer sur votre valeur ajoutée d’expatrié

Les compétences acquises à l’étranger sont précieuses : capacité d’innover, compétences interculturelles, conduite du changement, etc. Pour beaucoup néanmoins, elles semblent   intransférables et intransmissibles dans le contexte français. « J’ai vécu 15 ans en Afrique, explique Félix. J’y ai vécu des expériences professionnelles hors du commun, souvent extrêmement difficiles à vivre. Je me suis adaptée pour résoudre des difficultés rencontrées avec des tribus. Je préfère ne pas en parler ici en France car on me prendrait pour un fou. Le problème, c’est que je ne sais vraiment pas ce que je peux faire ici avec tout ça. ». Pour le collaborateur de retour au siège, comme pour le travailleur indépendant en carrière nomade, un défi : recadrer son expérience et ses compétences acquises à l’international. Pour cela, l’expatrié doit se mettre « dans les chaussures » de ses cibles, comprendre ses problématiques locales. Or deux difficultés se présentent à lui: d’une part, comprendre comment les acquis de l’expérience internationale peuvent  être transférables à l’entreprise en national, d’autre part traduire la richesse des ces acquis en un langage adapté à ses cibles.

L’expatrié au retour, entre arrogance et mutisme

Or la vie à l’étranger donne accès à la « global picture », une vision grand large sur des problématiques locales. Le risque pour l’expatrié prend dès lors deux formes : l’arrogance de « celui qui sait », qui connaît le contexte au niveau mondial. Ou le mutisme devant l’ampleur du décalage à combler pour ceux qui sont restés en France. Bien entendu, aucune de ses attitudes n’est efficiente pour la réussite de votre projet. Votre succès se situe juste au milieu… Votre réseau en France n’est pas prêt à entendre tout ce que vous avez appris du monde. Un travail est à effectuer de votre côté pour ajuster votre communication, être « audible » en France.

L’approche du retour par la génération Y

Les Y[5] portent un regard différent sur le retour. Et le vivent différemment. Le départ et le retour sont autant d’ « outils » pour servir un projet personnel et professionnel. Juliette, 24 ans : « Ce voyage en Amérique du Sud correspond à une bulle d’air entre un Master intense et un premier poste où je vais donner le meilleur de moi-même. C’est ainsi que j’imagine mon avenir professionnel : des périodes où je donne le meilleur de moi-même entrecoupées de période de lâcher-prise où je me ressource. Il s’agit pour moi de savoir saisir des opportunités en France ou à l’étranger et de m’adapter. » Beaucoup d’expatriés de la génération Y « voyagent légers », sans conjoint, ni enfants. Entre départ et retour, leur réseau reste mondial et en partie virtuel. Leurs liens en France et à l’étranger sont plus nombreux et plus faibles en intensité que chez les X.  Partir, revenir, partir, revenir encore : rester expatrié ne relève pas d’un combat. Pour autant, bien sûr, des zones d’inconfort existent au retour: à l’inconfort financier s’ajoute à la difficulté de convaincre sur un projet professionnel souvent conçu sans cohérence globale, dans l’ « ici et maintenant », pays après pays (les conjoints d’expatriés sont confrontés à la même problématique). Pour de nombreux Y, c’est le retour chez les parents, ou dans la maison de campagne des parents. Ce qui s’avère extrêmement inconfortable pour des personnes ayant prouvé leur autonomie à l’étranger. C’est une atteinte au leadership personnel avec un impact direct sur le leadership professionnel. Les parents qui accueillent leur enfant, le logent, ont parfois le reflexe naturel de justifier par les difficultés de leur enfant au retour, les mises en garde faites au départ sur la prise de risque à partir à l’étranger. Mais aussi parfois leur choix de ne s’être eux-mêmes jamais expatriés… « Aujourd’hui je me sens dans un vrai inconfort sur le plan financier. Je loge chez mes parents et n’ai pas de revenus. Je n’ai pas les moyens de souscrire à une retraite, je n’ai pas d’assurance maladie. Tous les jours mes parents me mettent la pression pour savoir où en sont mes démarches de recherche d’emploi. » Un bilan professionnel et personnel associé à une démarche de réseautage qui fait sens pour eux et à une veille pays, leur permettra de mettre à profit ce retour comme ils savent généralement le faire pour un pays étranger.
X ou Y, vous resterez des expatriés à vie. Considérez la France comme une ultime expatriation, un pays d’accueil à re-découvrir.

Stéphanie Talleux

[1] La compétence identitaire est la capacité à se connaître, à identifier ses besoins et à se fixer des objectifs qui font sens pour soi.

[2] Article « Enjeux de l’expatriation et du retour pour l’entreprise et le salarié » paru dans La Revue des Centraliens d’avril 2013.

[3] Dans une organisation l’individu cherche à détenir du pouvoir en créant une zone d’incertitude pour autrui dans un champ qui devient son « expertise ». Voir L’acteur et le système de JM Crozier.

[4] Voir le livre « Conjoint d’expatrié, votre carrière continue ! » de Stéphanie Talleux aux Editions StudyramaPro, juin 2012.

[5] La génération X regroupe les personnes nées entre 1965 et 1980, la génération Y regroupe celles nées entre 1980 et 1996.

 
Clarisse Talleux