Quand l’expatriation menace le couple
Le taux de divorce des couples expatriés est supérieur de 54% à la moyenne nationale. Quels phénomènes expliquent la précarité relationnelle du couple expatrié ? La vie à l’étranger implique une perte de repères tant au niveau individuel que dans la relation de couple. Comment sortir de l’impasse ?
Comprendre, avant tout
« Je voulais vous parler de ce qui se passe dans mon couple depuis qu’on est arrivés ici et en même temps je ne sais pas trop comment vous expliquer ce qui nous est arrivé. »
L’expatriation est un projet de couple, réfléchi et construit à deux, comme toutes les étapes de la vie de couple : mariages, naissances, déménagements. Le livre blanc de l’expatriation établi par Berlitz indique que les motivations au départ sont tant liées à la sphère personnelle que professionnelle : volonté de progresser professionnellement (92%), de saisir une opportunité (89%), de profiter d’un tremplin professionnel (80%) ; mais aussi de découvrir d’autres pays (89%), de vivre une expérience familiale (76%), de rompre avec le quotidien (55%). Dans le projet d’expatriation, les sphères personnelle et professionnelle semblent donc prises en compte.
Où y a-t-il donc rupture sur la chaîne de valeur ? Il est nécessaire de prendre conscience que le changement de cadre implique un changement total de repères : une fois à l’étranger, chacun des conjoints perd tous ses repères tant au niveau individuel qu’au niveau du couple. Et cela commence dès la phase de préparation : un déni demeure souvent sur des sujets qui ne sont pas mis à jour : le besoin de liens avec la famille ou les amis restés en France par exemple, la conservation de son employabilité ou de son autonomie financière ; etc. En réalité certains besoins peuvent vous paraître fondamentaux à vous, et dérisoires aux yeux de votre conjoint. Et vice versa. D’où une incompréhension au sein du couple en amont. Il se produit ensuite une accélération du temps vers le départ : la gestion du matériel et de l’administratif prend alors le pas sur une réflexion commune profonde …
Deux conjoints, deux mondes
« Le matin, elle se lève très tôt pour aller bosser, elle est à la fois heureuse, épuisée et débordée. Et moi je ne vis pas dans le même monde il faut croire . »
« Je suis jalouse de lui car il a une vraie réussite professionnelle et moi je patauge. »
Dans le pays d’accueil, la frontière s’installe progressivement entre les conjoints qui s’inscrivent dans deux univers totalement différents. Une incompréhension interculturelle finit par brouiller la communication au sein même du couple ! L’expatrié retrouve son entreprise avec un projet professionnel ambitieux et exigeant. Attention : le virage n’est pas facile à négocier pour lui. Il lui faut comprendre les codes de ce nouveau pays, et être performant dans une langue étrangère. De son côté, le conjoint d’expatrié vit une situation diamétralement opposée : bien souvent il n’a pas de projet professionnel et dans la majeure partie des cas, si projet il y a, il a la sensation d’avoir dû sacrifier sa réussite professionnelle. Et puis il doit trouver sa place dans une société de femmes conjointes dont il se sent culturellement éloigné.
Voilà maintenant 16 ans que je côtoie le milieu de la mobilité internationale, 7 ans que j’investigue sur ce thème et ma constatation est la suivante : la majeure partie des conjoints d’expatrié est dans un déni de reconnaissance de son mal-être. Cela aboutit à des relations interpersonnelles difficiles au sein de la communauté mais aussi au sein du couple : les conditions apparentes de confort de la vie du conjoint l’installent dans une incapacité à s’exprimer sur ses points d’inconfort. Sa souffrance est muette : elle est déconnectée de ses repères culturels habituels de la notion de souffrance ; elle n’est pas audible au sein de la communauté. Ni dans son couple…
Se taire pour tenir le coup
« Mon mari me dit maintenant qu’il n’a même plus envie de se préoccuper de mes besoins, il en a ras-le-bol que je n’aille pas bien. »
Au sein du couple, le dialogue de sourd s’installe. Cette situation a une fonction : maintenir le système à court terme. Elle a une cause : la sensation chez les conjoints qu’il n’y a pas d’autre solution. Que c’est « ça ou la catastrophe » : on reste comme ça ou on doit rentrer. Or l’expatrié a maintenant le poids économique de la famille sur les épaules : il a la charge de subvenir aux finances et au bien-être de tous… Il doit assurer la base de la pyramide de Maslow, l’indispensable… Et désormais, c’est ici, à l’étranger, qu’il gagne sa vie. Il pense également que ça ira mieux après le choc culturel, logique lorsqu’on se confronte à une nouvelle culture. Or le conjoint ne vit PAS un choc culturel, mais une perte de sens profond. Et cela ne se résout pas avec le temps, cela se résout par un accompagnement adapté.
Les effets dangereux du déni
Je suis alarmée par les conséquences de ce déni : dépression, alcoolisme. Et pourtant, les personnes qui se rapprochent de moi sont celles qui ont eu l’intuition qu’il y a une solution, une troisième voie entre « ça ou la catastrophe »…
Que deviennent les autres ?
Retrouver vos repères, identifier vos besoins
« Je n’allais vraiment pas bien, j’étais complètement perdue quand je suis arrivée ici, j’allais VRAIMENT mal. Maintenant je suis à nouveau aux commandes. »
Le bien-être n’est pas une question de lieu. C’est une question de repères : retrouver des repères qui font sens pour vous, encore plus qu’en France où nous sommes sous la contrainte d’injonctions familiales et sociétales. C’est une question de besoins : des besoins à identifier, à respecter, à satisfaire. Or les besoins sont individuels : seriez-vous capable de citer les vôtres sans être accompagné par un consultant ? En France, on les satisfaisait sans s’en apercevoir. A l’étranger notre écosystème est à reconstruire : nos besoins sont les mêmes qu’en France mais on ne les satisfera pas de la même manière… Au sein du couple, il s’agit de comprendre que 1+1=2, et non 1+1=1 comme on l’avait cru : on a beau s’aimer, nos besoins sont différents et il faut les satisfaire, chacun de son côté, en autonomie…
Et aussi ré-apprendre à communiquer ensemble alors qu’en France, on avait l’impression de « ne plus avoir besoin de se parler pour que ça tourne »…
Stéphanie Talleux